Par pitié, un peu de bonne foi

Je pense que je ne suis pas le seul à constater – et déplorer – l’effondrement de notre capacité à tenir des conversations avec des points de vue distincts, notamment en ligne.

La polarisation de l’opinion est un problème plus pressant que jamais, et les conséquences sont regrettables : chaque discussion devient un affrontement, la recherche de tout compromis est vécue comme un échec, et personne ne fait l’effort d’être un minimum de bonne foi.

Ce phénomène, que je pensais longtemps limité à Twitter et autres plateformes à l’atmosphère toxique, commence à transparaître dans le « monde réel », avec des citoyens qui semblent retranchés de plus en plus profondément dans leurs opinions et de moins en moins intéressés par l’idée de prendre en compte un point de vue qui diffère du leur. Les conversations sur des sujets polarisés tourneront inévitablement à l’évitement de la conversation (« j’ai le droit d’avoir mon opinion »1) ou à la catégorisation hâtive de celui vu comme un adversaire (« gaucho », « nazi », « mouton »…)2.

Cette régression est loin de toucher une seule tranche d’âge ou un seul bord politique. La magnifique chambre d’écho qu’est devenu le réseau social Bluesky en témoigne.

Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que tout peut (ou doit) être sujet à débat, ou qui pensent que ceux qui n’ont pas d’opinion sur certains sujets sont lâches ou stupides ; mais que deviendrons-nous dans une société où plus personne ne souhaite dialoguer sincèrement avec personne ?

Malheureusement, je n’ai pas de solution miracle à apporter. Simplement, à quiconque me lira, je vous en conjure : dans vos échanges, sur internet ou dans la vraie vie, essayez de faire preuve d’un minimum de bonne foi. 🙏🏻

  1. Pour un rappel – toujours utile – des dangers de cette réponse… ↩︎
  2. Une seule catégorisation hâtive reste nécessaire : celle de « troll » , pour éviter que ce genre d’individus ne viennent pourrir les rares conversations de qualité qui subsistent sur internet. ↩︎

Les vestiges d’une fête

Une affiche "Paris 2024" accrochée sur l'Hôtel de Ville de Paris.

Il y a quelque chose d’à la fois beau et un peu douloureux à voir les vestiges des Jeux Olympiques de 2024 dans Paris, et notamment la signalétique dans les rues, les gares, les métros… Ces affiches roses, marques d’un passé très récent, rappellent à la fois l’effervescence qui a animé la capitale durant ces quelques semaines et la vitesse à laquelle le temps file.

Quelques semaines après la clôture des Jeux, les transports en commun sont à nouveau dysfonctionnels et les parisiens sont redevenus aigris. Les couleurs vives des affiches abandonnées par les organisateurs semblent déjà désuètes.

Ces vestiges s’estomperont progressivement avec le temps. D’omniprésents, ils deviendront de plus en plus rares, mais sans jamais pour autant s’effacer complètement, comme pour rappeler que, même si la vie continue, l’histoire de Paris s’enrichit de ces moments gravés dans la mémoire collective.

Et je trouve ça beau.

« La bureaucratie d’aller à la plage »

Je me sens obligé de partager (et de traduire maladroitement) cet excellent article publié par Matt Webb sur son blog Interconnected :

« Je suis sur une plage au bord d’un lac dans le nord de l’Italie et je prends conscience de l’effort que représente « être sur la plage ».

L’emballage, bien sûr. Identifier l’équipement nécessaire en termes de vêtements, de chaussures de plage, de coupe-vent, de jeux pour la plage, de jeux pour l’eau, de crème solaire, de serviettes, de glacière, etc. […]

Transbordement depuis la voiture. Identifier un endroit où s’asseoir, s’installer avec des serviettes, sortir les choses des sacs, s’habiller, mettre de la crème solaire, remettre différentes choses dans les sacs, gonfler les structures gonflables.

Quand allons-nous déjeuner ? Quelqu’un veut-il boire quelque chose ? Quelqu’un devra s’occuper des sacs. Ou devons-nous prendre les sacs ? Déplacer périodiquement les serviettes pour rester au (a) soleil ou (b) à l’ombre (rayer la mention inutile).

Finalement, aller dans l’eau. Ça fait beaucoup de choses à faire.

Je connais des gens qui ont l’habitude d’aller à la plage et d’y rester, et l’on pourrait imaginer que cela se traduise par l’établissement rapide et en douceur d’un camp et la sécurisation des lignes de ravitaillement, mais il s’avère que la complexité ne fait qu’augmenter, et qu’il y a plus de marchandises et plus d’architecture de plage, de sorte qu’un petit plongeon au milieu de la journée est suivi de grands exploits logistiques pour le déballage, puis de la même chose en sens inverse. […]

Pendant que je me débat entre l’application du SPF-50 et le rangement de mes affaires pour éviter de remplir ma chemise de sable ou de mettre des cailloux dans mes chaussures, que je tourne les serviettes encore et encore pour les disposer de manière à obtenir un accès optimal (a) au soleil ou (b) à l’ombre (supprimer comme précédemment), que je prends un livre puis que je suis détourné par le besoin de prendre quelque chose dans un sac, que je suis détourné parce que quelqu’un a besoin d’une serviette, une pile profonde de diversions imbriquées les unes dans les autres, toutes ces diversions se succèdent, une pile de diversions imbriquées, toutes incomplètes, oh maintenant il est temps de déplacer les serviettes à nouveau/d’appliquer de la crème solaire/et ainsi de suite, et tout ce que je veux vraiment c’est une glace, toute cette performance baroque que je considère comme une corvée chronophage interférant avec mon temps à la plage, eux la considèrent comme l’intérêt même d’être ici. »

Voici à nouveau le lien vers le post complet (en anglais).

Relativiser l’exposition au plomb

Il y a une chose qui me terrifie de manière probablement irrationnelle : l’exposition au plomb. Je pense que cette peur est née après avoir regardé des documentaires sur la crise sanitaire de Flint aux États-Unis. Je trouve qu’il y a quelque chose d’assez effrayant de se dire qu’il est possible de voir en quelques mois sa vie détruite par un contaminant invisible présent dans son eau potable.

Ce métal utilisé depuis des siècles est un polluant toxique pour l’ensemble de la population et est encore très répandu dans l’environnement. Son utilisation a diminué et a été réglementée à partir du 20ème siècle en raison de sa toxicité, mais la contamination reste possible par l’air, l’eau, les sols, la peinture…

Le bilan est extrêmement lourd : une étude publiée en 2023 par la Banque mondiale estime le coût de l’exposition au plomb à 5 millions de morts par an et 6 000 milliards de dollars pour la seule année 2019, soit 7 % du PIB mondial. Ce coût extrêmement élevé s’explique notamment par la lourde perte de quotient intellectuel chez les jeunes enfants exposés, qui entraîne ensuite l’ensemble de la société vers le bas (de très nombreuses études ont par exemple été menées sur la corrélation entre exposition au plomb et criminalité).

Il n’y a donc pas de quoi se réjouir, mais je tenais à rappeler tout de même que nous sommes sur le bon chemin : dans les pays développés, l’exposition au plomb a chuté dramatiquement depuis le milieu du 20ème siècle.
Voici par exemple un graphique pour les États-Unis :

Crédit : Our World in Data.

En France, le rapport du programme national de biosurveillance Esteban, mené de 2014 à 2016, souligne que « depuis l’interdiction [du carburant plombé] en France métropolitaine, le 2 janvier 2000, une baisse de 97 % des émissions de plomb dans l’air a été observée entre 1990 et 2016 » et que, « au niveau européen, une diminution de 85 % de la concentration en plomb dans l’air a été observée au cours des deux dernières décennies ».

« L’étude Esteban a montré une diminution de l’imprégnation par le plomb des enfants et des adultes en population générale […] Les niveaux de plombémie mesurés dans le sang total veineux s’inscrivaient ainsi dans la tendance à la baisse de l’imprégnation saturnine, constatée en France et en Europe depuis les années 1990, suite notamment à l’interdiction de l’essence plombée, la diminution des concentrations en plomb des aliments, le traitement des eaux de distribution publique pour limiter sa teneur en plomb, le remplacement des canalisations et branchement en plomb et la réhabilitation de l’habitat ancien ».

La surveillance de la plombémie reste un enjeu de santé publique, notamment dans les pays à bas et moyens revenus, mais je tenais à partager ces progrès très encourageants.

Il est urgent de dépasser la haine de la climatisation

Les pays d’Europe de l’Ouest font figure d’exception parmi les pays développés en ayant un taux d’adoption très faible de la climatisation : seuls 3% des foyers allemands et anglais et 5% des foyers français en avaient une en 2018, d’après l’Agence internationale de l’énergie. À l’inverse, ce taux est de 90% aux États-Unis et au Japon, de 60% en Espagne et de 39% en Italie.

Au-delà de cette adoption très faible, je constate régulièrement que s’équiper d’une climatisation est socialement mal vu par une majorité de Français : ce geste est vu comme égoïste, voire climaticide. C’est ainsi que l’institut de sondages Opinion Way relevait en 2021 que 75% des personnes interrogées indiquent ne pas souhaiter se munir d’un climatiseur, et ce malgré la hausse des températures.

En effet, tout le monde sait aujourd’hui (n’en déplaise à Nicolas Sarkozy) que les vagues de chaleur s’intensifient – et continueront à s’intensifier de manière exponentielle – dans le monde en raison du dérèglement climatique d’origine humaine.

Les conséquences sont importantes. Sur le plan sanitaire d’abord : sur l’été 2023, Santé Publique France a relevé 1 500 décès attribuables à la chaleur (ce chiffre étant probablement sous-évalué). Sur le plan économique ensuite : les épisodes caniculaires font chuter dramatiquement la productivité des travailleurs, tous secteurs confondus. Sur le plan de la qualité de vie, enfin : quel dommage de continuer à subir un tel inconfort 120 ans après l’invention d’une technologie aussi révolutionnaire !

Cette mauvaise réputation de la climatisation est-elle justifiée ? Si les climatiseurs mobiles, qui sont peu coûteux et se vendent comme des petits pains tous les étés, ont une efficacité énergétique très faible, ça n’est pas le cas des pompes à chaleur air-air (aussi appelées « clim réversibles »), qui sont extrêmement efficaces.

De plus, il ne faut pas oublier que l’électricité française est quasi totalement décarbonée. Installer une pompe à chaleur et l’utiliser toute l’année, même si on la faisait tourner à 18°C tout l’été, est donc infiniment meilleur pour l’environnement qu’utiliser 4 mois par an un simple chauffage au gaz.

Qu’est-ce que l’Europe attend ? Elle n’a pas le choix : il devient urgent d’équiper en masse sa population en pompes à chaleur pour se préparer aux prochaines décennies.

La vérification d’identité n’a pas à être une mauvaise expérience

De nombreux sites et plateformes ont besoin d’effectuer une vérification de l’identité de leurs utilisateurs, que ça soit pour ouvrir un compte bancaire, un portefeuille de cryptomonnaies ou un compte sur une application de trottinettes électriques. C’est un processus délicat, qui doit trouver un juste équilibre entre efficacité et protection des données personnelles.

Le problème, c’est que je vois de plus en plus de sites internet et d’applications adopter des technologies de vérification externes, qui proposent une vérification en temps réel et plus ou moins automatisées (pensez IDnow ou CheckedID).

L’expérience utilisateur est souvent mauvaise. Sur le papier, c’est super efficace1, mais dans la pratique :

  • Ces logiciels tendent à être particulièrement capricieux lorsque l’utilisateur n’est pas dans des conditions parfaites (reflets sur la pièce d’identité, mauvaise connexion internet…) ;
  • Une grande partie des utilisateurs utilisent des téléphones d’entrée de gamme, dont les caméras ont beaucoup de mal à obtenir une capture nette de la pièce d’identité ;
  • L’ajout de ces interfaces et API externes rajoute beaucoup de complexité et de poids à votre application mobile2, ce qui affectera de manière disproportionnée ces utilisateurs les moins bien dotés.

De plus, en pratique, dès que vous dépassez les quelques vérifications par jour, vous ne ferez pas d’économies en utilisant ces services, dont les prix sont indécents, par rapport à votre propre équipe dédiée.

Ce qu’il faut offrir aux utilisateurs, c’est de la flexibilité. Un exemple de plateforme qui gère très bien la vérification de documents selon moi est HelloAsso. À première vue, ils n’utilisent qu’un bête formulaire sur leur site, mais :

  • L’utilisateur a la liberté d’utiliser l’appareil et le format (.jpg, .pdf…) de son choix.
  • L’utilisateur peut commencer à ajouter ses documents, puis terminer demain, sans perdre sa progression.
  • Si l’un des documents n’est pas valide, les documents déjà déposés et validés le restent3.
  • Pour chaque document à envoyer, la plateforme fournit des consignes claires et des exemples.
  • En cas de problème, une assistance réactive par email est joignable sans avoir à fouiller pendant des heures dans les pages d’assistance ni à interagir avec un chatbot débile.

Donnez de la flexibilité à vos utilisateurs. S’il le faut, demandez-leur d’envoyer leurs documents par email. Si possible, proposez-leur également une vérification d’identité en personne4. Mais, par pitié, économisez leur temps et évitez ces solutions externalisées désastreuses.

  1. IDnow promet une vérification d’identité en 12 secondes ! ↩︎
  2. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des applications bancaires qui font 300 Mo et qui insistent pour avoir l’autorisation d’accéder à la caméra… ↩︎
  3. Ça paraît bête, mais de nombreuses plateformes demandent de renvoyer tous les documents si un seul d’entre eux n’est pas validé. ↩︎
  4. L’Identité numérique La Poste propose ce service en bureau de poste, ce que je trouve assez intelligent. ↩︎

Les ragots sont essentiels

Je me sens obligé de partager ce merveilleux passage de la newsletter de l’écrivain Robin Sloan, que je me suis permis de traduire depuis l’anglais :

Le mot « ragots » est sous-utilisé.

La plupart des nouvelles sont des ragots ; je le dis avec une totale admiration. Les ragots sont utiles ! Pratiques ! Beaucoup d’entre eux sont vrais ou en passe de le devenir.

Que sont les hauts fonctionnaires anonymes cités dans les journaux, sinon des ragots ? Encore une fois, cela donne l’impression que j’essaie de rabaisser ces fonctionnaires, mais c’est tout le contraire : j’essaie d’élever le niveau des ragots.

Il en va de même pour les services de renseignement : présentez-les comme il se doit, c’est-à-dire comme des réunions d’information sur les ragots collectés.

Dans les systèmes informatiques distribués, il existe ce qu’on appelle un protocole de bavadarge [gossip protocol en anglais]. Les programmeurs ont compris la valeur des ragots !

La prochaine fois que vous entendrez quelqu’un dire « c’est une telle commère », comprenez plutôt « c’est un excellent collecteur d’informations sociales ».

Source : Fresh from Ganymede! (robinsloan.com)