Voilà déjà plusieurs mois que je me retiens d’écrire cet article, en espérant naïvement que le bon sens finisse par triompher et que la direction de l’École de Droit de la Sorbonne (EDS) de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne revienne sur ses erreurs. Malheureusement, cette réforme a été votée et ses modalités d’application viennent d’être publiées en février 2025.
Voici les principales innovations de cette réforme, telles que retracées dans un article publié sur L’Étudiant.fr :
« La maquette de la licence de droit de la Sorbonne de Panthéon-Sorbonne sera réformée en octobre 2025. Les cours seront désormais condensés en deux ans et demi.
Afin de conserver l’ensemble des enseignements et matières du programme actuel, les deux premières années de licence comporteront 14 semaines de cours par semestre, contre 12 actuellement. Le nombre d’examens semestriels sera par ailleurs réduit, au profit d’examens annuels sur les matières fondamentales.
Le dernier semestre de la licence sera ainsi libéré pour permettre aux étudiants « d’enrichir leur formation et de mûrir leur projet ».
L’étudiant pourra choisir entre quatre options : un projet professionnel (stage ou autre activité professionnelle pendant 4 à 6 mois) ; un séjour d’études d’un semestre dans une université étrangère ; un mémoire de recherche juridique accompagné de séminaires ; ou bien un projet personnel alternatif validé par l’université (engagement citoyen, activité bénévole à temps plein ou semestre de formation dans une autre discipline) ».
Soyons clairs : l’objectif poursuivi est louable, et une réforme périodique de la maquette de la licence est nécessaire pour s’adapter aux évolutions du droit. Toutefois, cette réforme suscite de vives inquiétudes à plusieurs aspects.
Tout d’abord, la communication de l’EDS vis-à-vis des étudiants en 1ère année de licence a été déplorable – voire franchement irrespectueuse. Alors que la réforme avait été votée depuis plusieurs mois, la direction a conservé un flou autour de ses modalités d’application précises jusqu’en février 2025. Alors que certains étudiants interrogés expliquent envisager d’abandonner leurs études de droit en conséquence, l’EDS a laissé passer la date de formulation des voeux sur Parcoursup, empêchant ainsi ces étudiants de prévoir une réorientation en connaissance de cause.
Sur le fond, tous les étudiants en droit savent que trouver un stage avant le master relève du miracle, d’autant plus sur 6 mois et en compétition avec une promotion entière de 700 étudiants ; l’EDS rappelle d’ailleurs cyniquement que « la recherche d’un stage reste de la responsabilité première de l’étudiant ». Cette réforme ne fera donc que renforcer la reproduction sociale, déjà très présente dans les études de droit : les étudiants disposant du réseau adapté n’auront pas de difficultés à trouver un stage, tandis que la situation sera bien plus difficile pour le reste de leurs camarades.
Il en est de même pour les stages à l’étranger, la sélection pour un échange au 6ème semestre de licence étant déjà rude avant l’entrée en vigueur de la réforme. Les capacités d’accueil ne suivront pas, comme le reconnaît à demi-mot l’EDS1.
En pratique, la grande majorité des étudiants se tourneront donc vers le « projet de recherche juridique », composé de la rédaction d’un « mémoire »2 et de séminaires de recherche et d’approfondissement de leurs acquis. L’objectif de ce mémoire est « d’aborder, grâce à une réflexion personnelle, une question de droit débattue en doctrine ou d’actualité juridique et d’approfondir des notions juridiques, des jurisprudences, des évolutions du droit… » avec l’appui d’un « directeur de recherche ».
Je suis convaincu que deux ans et demi d’études ne suffisent pas à atteindre le niveau de connaissances et d’abstraction nécessaires pour rédiger un mémoire de bonne qualité qui soit utile ou innovant. De plus, en raison du nombre d’étudiants concernés, il y a fort à parier que l’accompagnement du « directeur de recherche » se révèle limité voire inexistant s’il s’agit de professeurs. La situation ne sera guère meilleure si l’université décide de donner ce rôle à des chargés de TD, qui n’auront pas non plus le temps d’accompagner une vingtaine d’étudiants dans ce travail exigeant de recherche.
Enfin, l’annualisation des matières fondamentales des 2 premières années de licence (droit constitutionnel, privé, administratif, de la famille et des obligations), c’est-à-dire la suppression des partiels de janvier au profit du contrôle continu et d’un partiel unique en mai, est profondément préoccupante. La charge de travail conséquente qui pèsera en conséquence sur les étudiants lors des partiels de fin d’année ne mènera à rien de bon, et je suis prêt à parier que cela aura un effet négatif sur le niveau des étudiants (et, in fine, du diplôme…).
La force des études dans une université exigeante telle que la Sorbonne réside notamment dans les partiels. Là où l’évaluation en contrôle continu repose largement sur l’appréciation personnelle du chargé de TD (j’ai déjà constaté des différences de notes allant du simple au double entre des groupes de TD autrement identiques), les partiels offrent à tous la chance de valider leurs acquis dans des conditions relativement égales et nous rapprochent d’un idéal de méritocratie3 . Cette réforme abandonne ces acquis, au profit de plus de sélection et de compétition entre les étudiants.
Étant moi-même un étudiant en droit qui a récemment acquis ma licence de droit à l’EDS, j’espère sincèrement me tromper en écrivant ces mots. J’espère que cette réforme élèvera les étudiants de cette belle université et leur sera bénéfique. Mais, honnêtement, ça semble mal parti.
- La communication de la direction se veut rassurante, expliquant que « Les possibilités de mobilité sont vastes sur tous les continents. Toutefois, lorsque la mobilité s’inscrit dans le cadre d’un partenariat, le nombre d’étudiant(e)s susceptibles d’être accueilli est défini par chaque convention de partenariat et varie d’une université à l’autre. Une commission de répartition gérera au mieux l’ensemble des demandes. » ↩︎
- La direction de l’EDS elle-même place ces guillemets dans sa présentation, c’est dire à quel point elle y croit ! ↩︎
- Si tant est qu’il soit souhaitable de poursuivre un tel idéal, mais c’est un autre débat, qui mérite mieux qu’une note de bas de page. ↩︎